Émile Prout vulgarise la science


Aujourd'hui : la réalité


La réalité est ce qui existe, ce qui est réellement. C'est l'objet d'étude des sciences exactes, mais pas celui des sciences humaines (ou inexactes) qui ne connaissent pas la rigueur scientifique. Par exemple si Einstein affirme, dans un scénario certes improbable, sauf en cas de casquette maltée, «E=mc3», on est en droit de lui rétorquer «Ah, ben non, Albert, là tu t'es gouré». Mais quand Sartre vous balance «Ma chute originelle, c'est l'existence d'autrui», à part «Tu l'as dit, bouffi !», y'a pas grand chose à dire.

Les sciences humaines ne s'intéressent pas à la réalité mais à la vérité. Ce qui n'est pas du tout pareil. La réalité est unique et échappe aux états d'âme, alors que la vérité, à chacun la sienne. Comme disait Desproges «L'ennemi est bête, il croit que c'est nous l'ennemi, alors que c'est lui». La réalité est souvent à mi-chemin entre deux vérités. Et la vérité est une question de point de vue ou de croyance. Par exemple, la vérité pour le platiste est que la Terre est plate, alors que la réalité, tout le monde la connaît, est que le platiste est con.

Un autre exemple : L'évêque de Tarnow a déclaré: «A Auschwitz, Dieu était silence, pas absence». Heureusement, soit dit en passant, que les proverbes ne sont pas infaillibles comme le pape, car «Qui ne dit mot consent». Remarquez, si Dieu est vraiment partout, il devait bien être à Auschwitz aussi, y compris en haut des miradors. Mais le don d'ubiquité n'est pas donné à tous, et comme le déplorait le Docteur Petiot en 1944 alors qu'il se cachait dans la résistance, «On ne peut être à la fois au four et Jean Moulin».

Il est beau cet aphorisme «Silence, pas absence». Il est même sublime. C'est sans doute ce qu'on appelle la foi. Ou la mauvaise foi.

Un roman qui n'a que des pages blanches, c'est mieux que pas de roman du tout, non ? Ah si, un peu quand même, car un roman ce n'est finalement rien d'autre qu'un texte sur un support. On a déjà le support, il n'y a plus qu'à écrire le texte. Et puis, une fois refermé, le roman, personne ne sait qu'il n'y a rien dedans. «Silence pas absence». Finalement c'est un peu l'histoire du couteau sans manche qui a perdu sa lame.

La réalité contre la vérité. La science contre la foi. La foi, belle idée. Personnellement, moi, Emile Prout, je n'en ai pas besoin. Athée par lucidité et anticlérical par expérience, je ne veux plus jamais entendre parler de religion. Si on a souvent tort de dire "jamais", on a rarement tort de dire "plus jamais".

La réalité est unique, on l'a vu. La Terre est ronde, c'est la réalité. Deux et deux font quatre, c'est la réalité. Un oiseau qui vole, c'est encore la réalité. Un poisson plat qui dort, c'est toujours la raie alitée. Mais parfois ce n'est pas si simple. Pour un aveugle, par exemple, est-ce qu'une tomate est rouge ? L'est-elle réellement et pour qui ? Pour moi, en tout cas, oui, car je vois rouge, comme d'ailleurs à chaque fois qu'un tartuffe imbu de lui-même ouvre sa gueule. Il y a en effet un évident rapprochement à faire entre la rouge tomate et la tronche de Bernard-Henri.

La réalité est «virtuelle» lorsqu'on crée numériquement un monde artificiel. C'est vachement bien, ça permet de jouer au tennis en pyjama dans le salon sans raquette ni balles.

La réalité est «augmentée» lorsqu'on lui ajoute des éléments virtuels. Grâce à cet amusant subterfuge, on peut, par exemple, sur un selfie devant la Tour Eiffel, ajouter un nez rouge ou une grimace. Le résultat est tout à fait cocasse et fera rire petits et grands.

La réalité est «diminuée» lorsqu'on lui retire des éléments réels. Prenez une photo ratée de tante Ursule. Ce qui est certes un pléonasme tant celle-ci est laide. Avec la réalité diminuée, vous pouvez enlever du portrait la hideuse verrue à poils qui trône sur son nez et les 4 mentons surnuméraires. Tout le monde il est beau. N'est-ce pas formidable ?

Et puis il y a la «télé-réalité». Pour ceux qui aiment. Mais contrairement à une idée répandue, la télé-réalité n'est pas abêtissante, pas le moins du monde. Simplement ceux qui font le choix de la regarder n'ont plus rien à perdre, abrutis qu'ils sont déjà. Big Brother is watching you.

Et si on lui foutait la paix, à la réalité. Parce que virtuelle, augmentée, diminuée ou télévisuelle, elle n'est plus réelle.

Il se peut fort bien d'ailleurs que dans un avenir proche la réalité ne soit plus du tout.