Émile Prout vulgarise la science


Aujourd'hui : la géométrie


La géométrie est la branche des mathématiques qui étudie les figures du plan et de l'espace. Nous nous bornerons ici à celles du plan.

La géométrie classique est dite euclidienne. Avec elle, les parallèles restent parallèles, tels les rails du chemin de fer à l'écartement standard de 1,435m, et ce sur toute la longueur du trajet, évidemment.

Dans une géométrie non euclidienne, vous allez rire, les parallèles se rejoignent à l'infini. On croit rêver ! Aussi est-il fortement conseillé de descendre du train avant le terminus, avant qu'il ne déraille, lui aussi, comme le fondateur de cette géométrie. Cependant il n'est pas délivré de billets à destination de l'infini puisque celui-ci n'existe pas. Finalement peu nous chaut que les rails s'y rejoignent. Ils pourraient même y faire des nœuds, des boucles ou des entrelacs, personne ne serait apte à démentir.

C'est Carl Gauss qui, le premier, a émis en 1813 l'hypothèse qu'il existe d'autres géométries que celle d'Euclide, mais n'a finalement pas osé publier le résultat de ses cogitations «par crainte des cris des béotiens», a-t-il écrit. Tu m'étonnes ! Vrai qu'avec Carl, on se gausse. D'ailleurs, la géométrie non euclidienne n'est pas enseignée à l'école primaire, ce que Carl Gauss n'aurait pas compris, car le gosse n'y comprendrait rien.

Nous resterons donc sobres, c'est-à-dire uniquement dans l'euclidien, la géométrie de la logique. Mais parfois, et c'est tout à fait étonnant, elle déraille, elle aussi.

Dans le plan, en deux dimensions donc, on s'intéresse aux polygones. On les différencie entre eux par le nombre de leurs côtés. On pourrait penser que le minimum est de trois, pour le triangle, mais ce serait trop simple. Il existe en effet un mec tordu, un gusse, un sale gosse, qui comme Gauss aime bien compliquer et qui s'est permis d'inventer le triangle à un seul côté, appelé triangle «dégénéré». (Parfois l'inventeur donne son nom à son invention et il me plaît à penser qu'en l'occurrence ce fut le cas). Ayant deux sommets confondus, ses trois côtés le sont aussi, et c'est en fait un simple segment de droite. Un autre gugusse affublé d'un triangle sur la tête, je veux dire un entonnoir, à créé le triangle plat, qui, lui, a ses trois sommets alignés. C'est également un simple segment de droite. Du coup, je m'y suis mis, moi aussi, il n'y pas de raison, et je viens de créer le duodécagone «proutien», c'est-à-dire un polygone à 12 sommets alignés ou bien onze confondus, comme on veut. Et c'est toujours un segment de droite.

Mais parfois le triangle est normal, qui peut être équilatéral, isocèle, droit, obtusangle, acutangle ou même scalène. Le triangle est dit «scalène» quand il n'a rien de particulier, pas d'angle droit, de côtés ou d'angles égaux, quand il est quelconque, en fait. Encore une trouvaille du mec tordu. C'est marrant, d'ailleurs, cette mode d'inventer des mots pour définir les choses par ce qu'elles ne sont pas : un non-entendant, un non-voyant. Ou bien un non-baisant, comme pour un prêtre non-pédophile. Un peu comme avec la mode des genres. Quand on n'est pas trans, ni bigenre, ni no-genre, ni rien de particulier, bref quand on est normal (c'est-à-dire dans la norme), comme 99,9 % des gens, il faut dire qu'on est cisgenre. Personnellement je suis aussi non-sourd (ou bien-entendant, bien entendu) et mal-aveugle (ou presbyte). Le borgne, lui, est mi-voyant. Et l'infini est un non-lieu. Mais trêve de plaisanterie.

Quand il a quatre côtés, le polygone est un quadrilatère. Rectangle, carré, trapèze, losange... Au quotidien, le rectangle est omniprésent : murs, portes, fenêtres, lits, tables, journaux, photos, tapis, torchons... L'homme est encerclé par les rectangles (si je puis dire), qui lui composent un cadre de vie un peu austère, alors qu'il aimerait plus de courbes. Aussi, quand il s'ennuie, tourne-t-il en rond dans sa carrée en rêvant d'arcs-en-ciel, d'atolls, de cercles polaires, de plages convexes et de ronds dans l'eau.

Quand il a cinq côtés, le polygone est le pentagone, qui n'intéresse pas grand monde, à part les Américains. Quand il en a six, c'est l'hexagone, qu'on trouve principalement dans la cervelle des coqs gaulois et dans les alvéoles des abeilles. Sept, huit, neuf côtés... Heptagone, octogone, nonagone. Tous les nombres y passent. Avec 100 côtés c'est l'hectogone et avec un million c'est le mégagone, mais là, pour peu qu'il soit régulier, on se rapproche furieusement du cercle.

Le cercle est une courbe fermée constituée de points équidistants du centre. C'est lui qui a inpiré la roue, grande invention humaine. Dans la foulée, l'homme a aussi inventé la cale, en forme de prisme triangulaire, pour bloquer la roue. Mais peut-être, par mesure de sécurité, lui faudrait-il également inventer la cale à cale, car si la cale barre, la roue pète.

Le cercle est fort utilisé. Avec les roues des véhicules terrestres, les rouages mécaniques, les ronds-points, les arènes, les cadrans, les assiettes, les tambours... Il est partout. Il paraît même que les amis en ont un. Je ne sais pas où il se trouve exactement et ne tiens pas spécialement à le savoir mais il semble que le cercle des amis ne soit pas très grand. Beaucoup plus petit en tout cas que celui des enculés, des importuns, des casse-pieds, des emmerdeurs, des malséants, des enfoirés et des empêcheurs de tourner en rond qui circonvolent autour de nous comme des mouches autour d'un étron. Comme quoi le cercle est parfois vicieux. Spirale infernale. «Prenez un cercle, caressez-le, et il deviendra vicieux» a dit d'ailleurs Eugène Ionesco.

Une spirale est une courbe plane décrivant des révolutions autour d'un point fixe en s'en éloignant. La spirale est présente dans le monde du vivant avec la pomme de pin, le chou romanesco, l'escargot ou le nautile. Elle est également présente dans le monde des hommes avec, par exemple, le sillon d'un disque vinyle. Et s'il s'agit d'un morceau de rap français, on a effectivement affaire à une spirale infernale.

Et, bien sûr, nous retrouvons ici le mec tordu qui tient encore à se distinguer et donc affirme que le cercle est une spirale infinie. Pourquoi pas, après tout, si ça peut lui faire plaisir ? Tout de même, il nous les brise menu ce m'as-tu-vu. Faudra un jour lui faire une tête au carré.

Avec le cercle, figure parfaite, il semble que nous avons fait le tour du sujet.